L'étrange maladie de Davy

(suite de la storyline contée dans Mauvais rêve...)

Cela faisait deux heures que Kay se concentrait sur un schéma complexe qu'il avait trouvé dans un livre de Nork. Le schéma était un entrelacement de quatre cercles, découpant l'espace en deux groupes de sept zones. Chaque zone représentait un espace complexe de sept concepts et idées. Le lien et les relations entre chaque zone était difficile à saisir, surtout pour un esprit non démoniaque. Mais Kay savait qu'il finirait par le comprendre. C'était la clé pour comprendre les sorciers. Et comprendre les sorciers étaient la clé pour compléter l'épée aux joyaux.

Dans sa concentration, Kay n'entendit pas Davy arriver derrière lui. Celui-ci, de sa voie légère de laquelle ressortait cependant une légère inquiétude dit :

- Dit, Kay...Tu trouves pas que j'ai grossi ?

Kay sursauta. La surprise d'entendre Davy briser sa concentration. Le ton à l'inquiétude à peine voilée en fit tout autant. Il se retourna, prêt à se fâcher. Mais, il regarda Davy et son air plus inquiet que la voie ne le laissait transparaitre. Sa colère descendit.

– Mais non Davy, répondit-il. Enfin un petit peu peut-être mais rien de dramatique, ajouta-t-il en regardant un peu mieux son amant.

Tout en disant cela, il se demandait si effectivement Davy n'avait pas un peu grossi. C'était étrange. Davy n'avait que peu grandit ou grossi depuis qu'il le connaissait. Il avait pris quelques centimètres bien sûr, surtout lors de sa soudaine puberté. Il avait pris aussi les quelques kilos qui allaient avec. Mais cette fois-ci en un temps relativement court, alors qu'il ne mangeait pas plus, Davy avait effectivement grossi. Kay se prit à réflechir à la cause de cette nouvelle transformation. Que se passait-il encore ?

Kay se sentait désemparé. C'était la première fois qu'il voyait Davy ainsi. Il savait qu'il était coquet mais il n'avait jamais pensé qu'un tel évènement puisse survenir. Il se tenta rassurant.

— Voyons Davy, ce n'est pas grave. Ce ne sont que quelques livres. Depuis plusieurs semaines, tu n'arrêtes pas de manger. Et n'importe quoi en plus. Hier soir encore tu as mangé des tartines à la mayonnaise.

Les larmes de Davy continuait à dévaler son visage comme un torrent en cru. Un instant, Kay songea le prendre dans ses bras, mais sa fierté le lui interdit. Pour lui, ce n'était qu'un caprice et un moyen pour Davy d'attirer son attention.

— Franchement, Davy, reprend-toi ! Ce n'est rien. Tu ne vas pas me faire une scène pour...

Ce qui se passa ensuite pris complètement Kay au dépourvu. Davy se détourna de Kay et s'enfui en courant. Kay resta sans voix, la bouche ouverte sans avoir pu finir ce qu'il disait. C'était la première fois que Davy faisait cela.

Kay n'était pas très sûr de savoir ce qu'il fallait faire. La solution naturelle était d'aller rejoindre Davy, de le punir pour son impudence puis, éventuellement, l'excitation naissant spontanément d'un tel geste, se rapprocher physiquement et intimement en tant que couple. Mais là, c'était différent. En fait, Davy n'avait jamais été impudent de cette façon. Mais maintenant que Kay y songeait, les sautes d'humeur, les demandes déraisonnables pour les repas, la mauvaise humeur et l'inquiétude s'étaient installés chez Davy depuis un certain temps. Kay commençait à s'inquiéter. Il alla vers la chambre.

— Davy ? Davy ? Répond moi Davy ? Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce à cause de ses quelques kilos en trop ? Serais-tu malade ? Davy ?

Les larmes de Davy était sincères. Elles l'étaient toujours, mais là, elles étaient dû à une source qui échappaient complètement à Kay. Un « Je sais paaaaaas... » primal s'échappa de la gorge de Davy en réponse à la question de Kay. Ce dernier commençait par se dire que Davy était vraiment malade.

— Bon viens avec moi mon chéri, on va aller voir un docteur, dit Kay d'un ton autoritaire.

Kay plongea ses yeux dans les yeux de Davy... ceux-ci étaient livides et Davy semblaient avoir des haut-le-cœur. Le jeune éphèbe devint encore plus pâle que d'habitude...

— Davy ? Tu ne vas pas être malade au moins...

Trop tard !!! Kay n'avait pas eu le temps de finir que son amant venait de libérer son dernier repas. Pour Kay s'en était trop, il souleva Davy dans ses bras et se dirigea vers la voiture.

— Quoi ?, s'exclama Kay. Pourquoi ne veux-tu pas que je viennes dans le bureau du docteur avec toi.

Kay tenait fermement Davy dans ses bras, tandis qu'une infirmière essayait délicatement de l'en faire descendre pour le conduire dans la salle d'auscultation. Le docteur se tenait devant les deux amants sans savoir à quel point il devait insister. Si son éthique lui disait qu'il n'était pas question de laisser Kay rentrer alors que Davy avait dit non, il était intimidé par Kay. Comme tous les Célestiens, il subissait l'écrasant regard de Kay qui minait sa volonté. D'une voix timide, il avait ordonnée à l'infirmière d'aider Davy à aller dans la salle d'auscultation. Mais Kay ne semblait pas vouloir le laisser descendre. « Oui mais...J'veux pas d'piqûre... » avait dit Davy. Kay s'accrochait à cela pour justifier qu'il allait vérifier que le docteur ne le piquerait pas.

— Je vous assure monsieur Eths que votre ... euh..., le docteur se racla la gorge, protégé... que monsieur Wilson ne subira aucun désagrément et que sa volonté de ne pas recevoir de piqûre sera respecté.
— Vous avez parlé de vérifier son état et de faire un check-up. Je ne connais pas très bien la médecine mais je sais que cela signifie que vous comptez lui faire une prise de sang ! Vous ne nous aurez pas avec vos mensonges et je vous assure que ...

Davy leva doucement sa tête et laissa échapper un simple « s'il te plait » qui fit fléchir considérablement la volonté de Kay. Puis il reposa sa tête contre l'épaule de son amant sans rien dire. Kay relâcha son étreinte. L'infirmière finit par faire descendre Davy et l'emmena pendant que le docteur continuait à donner des assurances à Kay. Kay savait qu'il ne mentait pas. Il allât s'asseoir dans un coin de la salle d'attente, concentré, se demandant s'il était ou non responsable. Il s'inquiétait.

Dans la salle d'attente, Kay avait fait une scène. Cela avait mortifié Davy. Était profondément ancrée en lui l'envie, non, l'instinct, le désir profond de plaire à Kay, de lui faire plaisir, de lui obéir. Cela lui arrachait le coeur de ne pas l'emmener avec lui, d'avoir, en quelque sorte, quelque chose à lui cacher même s'il ne savait pas quoi. Mais cette chose en lui qui lui disait d'y aller seul était trop forte et avait trop souvent eu raison pour qu'il puisse ne pas l'écouter.

Heureusement, cela avait finit par se régler assez simplement sur une simple supplique de sa part. Sinon, abandonné contre son épaule, il était résigné à le laisser venir, puisqu'il n'avait pas le choix. Mais son amant avait cédé. Et il était là, dans le bureau du médecin, attendant les résultats.

Il avait peur. Et s'il avait une maladie grave? Et s'il allait mourir? Au nom de la Grande Dame, non...Il voulait vivre...

Il n'avait pas réellement peur des piqûres. Enfin, oui, mais pas en ce moment, c'était loin d'être son principal problème...

Le médecin, un vieil Elfe blond à la mine somme toute sympathique, apposa ses mains partout sur le corps de Davy, Aillant des dons de guérison, c'était sa façon (et la façon la plus courante à Célestial) de savoir ce qu'il avait. Au bout de longues minutes, le guérisseur se redressa et ajusta ses lunettes sur son nez. Il soupira, s'assit, puis après s'être raclé la gorge, il commença:

-Monsieur Willson, quel âge avez-vous?

-J'ai...Je viens d'avoir seize ans...

L'autre fronça les sourcils.

-Je vois...

Il soupira, puis, prenant un air sérieux, il asséna d'une traite:

-Monsieur Willson, vous êtes enceint.

Choc.

Toute couleur se retira du visage de Davy et il se sentit comme engourdi. Le médecin se leva d'un bond pour le soutenir: il avait failli perdre connaissance. Sous le choc, le jeune garçon se mit à pleurer. Un peu maladroit, le guérisseur voulu aller chercher Kay mais Davy l'en empêcha. Il se calma d'un coup sec. Comme si quelque chose en lui s'était déclenché. Il ne pouvait plus revenir en arrière maintenant. La vie d'avant était fini.

Encore sous le choc, il entendit le vieil homme lui demander doucement:

-Monsieur Willson? Plusieurs options s'offrent à vous. Vous pouvez...Vous pouvez interrompre votre grossesse. Vous n'en êtes qu'au premier mois.

Quelque chose se crispa en lui. Non. Jamais. La certitude absolue qu'il protègerait cette chose au fond de lui coûte que coûte venait de s'imposer, comme allant de soi. Même pas besoin d'y réfléchir deux minutes.

-Vous pouvez aussi, si vous ne souhaitez pas le garder, le donner en adoption.

Même chose.

-Vous devez y penser rapidement...Bientôt nous ne pourront plus rien faire.

Lentement, le Cupidon ouvrit la bouche et sa voix sortit, froide, comme celle d'un automate:

-Je le garde.

Il y eut un silence.

-Bien. Je vais vous donner des racines et des plantes qui...

La suite n'intéressa que bien peu le pauvre Davy. Des plantes qui enlèveraient la nausée et régulerait ses hormones...Pour l'instant, il n'en avait rien à faire. Il pensait à Kay. Comment allait-il prendre la chose?

Mal, c'était certain. Kay qui avait des projets qu'il pressentait tellement grandioses. Kay qui travaillait ardemment dans un but, même si Davy ne savait pas encore lequel. Kay qui n'oeuvrait jamais que par plaisir, par intérêt. Jamais il ne voudrait s'encombrer d'un...Davy n,arrivait pas encore à prononcer ce mot-là, même dans sa tête. Il se refusait à penser à cette chose pour le moment.

Que devait-il faire maintenant?

En l'apprenant, Kay allait sûrement le chasser. Ou bien il l'obligerait à tuer le..à tuer ça. Même si Davy doutait qu'il le force à faire quelque chose s'il y mettait vraiment du sien...En fait, le plus probable, c'était qu'il l'obligerait à le donner à d'autres si jamais il refusait de le tuer.

En fait...Rien n'était sûr. Car se posait alors la grande question, la même question autour de quoi tout tournait, celle qui avait si longtemps hanté ses nuits:

Est-ce que Kay l'aimait?

Car tout dépendait de ça.

Il ne voulait pas perdre Kay. Ça lui arracherait le coeur. Il voudrait mourir. Mais...Mais il ne pouvait pas céder sur ça. Quelque chose au fond de lui naissait. Il comprenait que bientôt, sa seule raison de vivre ne serait plus Kay. Qu'il y aurait d'autres choses importantes, aussi. C'était confus, mais bien là.

Mais pour l'instant, il ne pouvait prendre une décision. Il était trop sonné. Sous le choc. Quelque chose de nouveau s'éveilla en lui. Calculateur.

-Ne dites rien à Kay.

Le docteur acquiesça. Secret professionnel oblige...

Avant de sortir, il s'arrêta devant un miroir. Il était tout pâle. Il s'exerça à sourire. A avoir l'air à peut-près normal. Le plus possible.

Cacher tout à Kay ou lui dire? Il n'arrivait pas à décider. Il décida de reporter ça. Il verrait demain. Pour l'instant, il avait besoin de digérer tout ça lui aussi...

En sortant, il se dirigea vers Kay assis non loin. Il lui sourit. Il avait l'impression de donner des ordres à son corps, comme s'il n'était plus dedans. Il se sentait loin. Bête de n'avoir rien prévu, rien vu venir, mais c'est tout. Il était froid. Choqué, en somme.

-Voilà...Le docteur a dis que. J'avais un virus.

*Soit plus naturel...*

-Désolé...je suis un peu dans les vappes, il m'a donné un truc et...Ça a quelques effets secondaires je crois...Ah ah..Je me sens un peu bizarre. Mais il dit que c'est normal.

Inspirer.

-Rien de grave. Il m'a donné ça, regarde.

Tendre les plantes.

- Ça va me guérir.

Expirer.

Sourire.

-Je suis fatigué. Le truc qu'il m'a donné fait effet je pense. On peut rentrer dormir?

Mentir.

Cela faisait une bonne demi-heure que Kay tournait en rond dans la petite pièce. Il avait songé entrer malgré l'interdiction du docteur et le regard de la petite infirmière qui faisait mine de lui barrer le passage, tout en arborant une expression d'insécurité face à Kay. Ce dernier avait d'abord passé une autre demi-heure à s'interroger, assis sur une chaise, sur ce que Davy pouvait avoir. Son tempérament fini ne pouvait supporter cette situation puisque c'était une énigme qu'il ne pourrait résoudre de cette manière. Il se dit que marcher le soulagerait du poids de la possible culpabilité qui l'étreignait. Mais ce ne fut pas le cas. Il en arriva à l'idée qu'il pourrait peut-être chercher dans son Livre, celui qu'il cachait dans son manteau, un rituel permettant de savoir ce qu'il en était. Mais après une courte réflexion, il considéra que c'était une mauvaise idée. Les sortilèges du Livre était démoniaque et avait une fâcheuse tendance à corrompre tout ce qu'ils touchaient, du lanceur à la cible. Il était inacceptable pour Kay de soumettre Davy à un tel risque. Au moment où il se résolu à s'asseoir, il entendit la voix du docteur par l'entremise de la porte qui s'ouvrait.

— ... et n'oubliez pas de prendre vos racines à toutes les 12h, laissa échapper le docteur en ouvrant la porte
— oui docteur

La voix de Davy venait de résonner dans le cadre de la porte, mais surtout dans le cœur de Kay. Enfin, il allait savoir. Il devait savoir... mais le ton de Davy était aussi las. Il semblait fatigué et un peu apathique.

— Voilà... commença Davy
— Qu'a dit le docteur Davy ? lança Kay d'aplomb
— Le docteur a dit que... j'avais un virus.
— Un virus ? tu m'as l'air complètement abattu.
— Désolé...je suis un peu dans les vap', il m'a donné un truc et...Ça a quelques effets secondaires je crois...Ah ah..Je me sens un peu bizarre. Mais il dit que c'est normal.
— Ok... j'espère. Est-ce... grave ? Y a-t-il des complications possibles ? Qu'est-ce qu'il t'a donné pour te soigner ?
— Rien de grave. Il m'a donné ça, regarde.

Kay regarda attentivement les flacons et les sachets. Il ne s'y connaissait pas en botanique et ne pouvait donc pas savoir ce que c'était. Il irait voir. Pas question de laisser la santé de Davy dans les mains d'un vieil elfe sans assurance.

— Ça va me guérir, dit Davy laissant glisser un faible sourire après ces paroles.
— Ok ok... on va veiller à ça alors. Mais j'aimerais bien lui parler à ton docteur.
— Je suis fatigué. Le truc qu'il m'a donné fait effet je pense. On peut rentrer dormir ?

Le ton était en déconfiture. Malgré l'envie de foncer voir le docteur, Kay se ravisa. Il serait plus sage de rentrer et de voir plus tard ce que le docteur avait donné à Davy. Kay n'y connaissait rien en botanique, pour l'instant. Il se rappelait un livre dans la bibliothèque de Nork là-dessus. Il était certain de pouvoir absorber rapidement son contenu. Mais la première chose était de ramener Davy à la maison. Sur le chemin du retour Davy s'endormit. Kay le porta doucement jusqu'au lit. Puis il l'abria avec délicatesse et baisa son front. Il avait le cœur qui battait. Il s'inquiétait. Il s'inquiétait de la santé de celui qu'il aimait.