L'épée des Joyaux

(suite de la storyline disponible dans Flashbacks)

Le départ fut quelque peu précipité. Le fait que Davy était excité par la glace que Kay lui avait promis avant d'aller chercher l'épée n'y était pas étranger à cet état de fait, mais aussi et surtout parce que Kay était pressé de récupérer l'épée qu'il avait fait construire par le forgeron du Village mixte. Cela faisait plusieurs jours qu'il y pensait. Il aurait dû la récupérer vite, mais le forgeron avait eu quelques problèmes avec l'acier demandé. C'était un acier récupérer dans les plaines du nord et sa commande avait été retardé. Mais l'essentiel est que l'épée était prête. Il ne restait plus qu'à poser les joyaux, ce que le forgeron ne pouvait faire de toute façon.

En conduisant, il se remémorait le temps passé à lire les livres de Nork. Ce démon était un monstre, un être détestable mais il disposait d'une collection incroyable de recueil décrivant le monde de Célestial. Ou plutôt, il avait été puisqu'il était mort maintenant. C'est comme si Nork avait passé son existence à chercher et méticuleusement référencer tout ce qu'il voyait et découvrait. Ceci sans compter ses tomes qui remontaient avant la création même de Célestial. Kay n'avait jamais compris comment ils pouvaient exister. Mais toujours est-il que maintenant c'est Kay qui les possédait.

En arrivant au Village mixte, Kay manqua de peu d'oublier le glacier, mais un petit couinement étouffé de Davy lui rappela sa promesse.

– Désolé Davy, j'ai failli oublié.

Il arrêta la voiture devant le glacier et entrait avec Davy qui semblait à peine contenir sa joie comme si c'était la première fois qu'il allait manger une glace.

L'excitation de Davy était toujours une source d'amusement pour Kay. C'était comme si Davy n'avait pas eu d'enfance. En fait, Davy n'avait pas vraiment eu d'enfance. Ce qui expliquait tout. Mais tout en le sachant, Kay restait constamment surpris de cette facilité qu'avait Davy de tout oublier pour se concentrer sur l'unique source de plaisir du moment.

– Oui je prendrais bien une petite glace à la pistache

Le service fut prompt ce qui ne déplut guère à Kay qui était pressé. Mais le passage par le glacier était une nécessité. D'abord parce que Kay l'avait promis à Davy. S'il était une qualité que Kay se faisait une fierté d'avoir c'était la sincérité de ses promesses. Ensuite et surtout parce qu'il espérait que ce geste allait suffisamment prendre de place dans l'esprit de Davy pour qu'il ne songe plus à l'importance de l'épée pour Kay. Il faudrait bien que Davy finisse par le savoir puisqu'il allait probablement prendre une place dans le rituel à venir... mais pour l'instant Kay voulait la paix.

– Ne tardes pas trop Davy quand même...

En disant cela, il constata que Davy avait presque finit. Cela faisait trois jours qu'il mangeait beaucoup. De plus, il mangeait des aliments qu'il ne mangeait pas avant. La veille il avait avaler trois pots de yahourt, alors qu'en temps normal, il n'aimait pas ça. Il en avait d'ailleurs été malade au réveil. Quoiqu'il en soit, la vitesse d'exécution de Davy lui allait très bien à ce moment précis.

– On peut donc y aller ?

À peine avaient-ils terminés que Kay entraîna Davy dehors sans prendre le temps de débarrasser la table. Il s'installa dans la voiture et sans un mot se dirigea L'excitation de Kay était à son comble lorsqu'ils arrivèrent chez le forgeron. Il se retenait de ne pas courir sonner à la porte et prit le temps de sortir Davy de la voiture par sa laisse. Il sonna à la porte attendant impatiemment le forgeron.

Lorsque ce dernier ouvrit il failli faire fit de tous les usages et rentrer tout de go chercher son épée. Mais il savait qu'il ne devait pas le faire. Il ne devait pas montrer au forgeron la valeur de l'épée et il ne devait pas inquiéter Davy. S'il se montrait trop enthousiaste ou trop pressé, Davy allait encore s'inquiéter. Enfin, ce n'est pas tant le fait qu'il s'inquiète mais qu'il pose trop de question sur la suite qui dérangeait Kay. Du moins, c'est ce qu'il se disait.

– Bonjour, je viens chercher l'épée que je vous ai commandé. J'espère que tout va bien.
– Oui, répondit le forgeron, elle est terminée. Du moins, si on excepte les joyaux.
– Aucun problème, sourit Kay, je vous ai dit que je m'en occupais. Rentrons voir voulez-vous.

Kay tira sur la laisse de Davy et suivi le forgeron qui l'emmena vers son atelier.

Kay tremblait presque lorsque le forgeron lui tendit l'arme. C'était pourtant une arme d'apparence fort simple. Une lame fine droite à double tranchant d'une longueur d'un peu moins de 3 pieds était posée sur un pommeau simple constitué de deux demi-coques en bois réunies par un ruban de cuir serré. La garde était constituée d'une coquille qui protégeait la main de celui qui tenait l'épée. Mais la partie la plus intéressante restait les 7 encoches disposées dans la garde. Chacun encoche était d'un diamètre d'environ un centimètre et peu profonde. Elles l'étaient suffisamment cependant pour y placer une petite pierre précieuse. De chaque encoche partait une fine ligne gravée dans le métal qui s'entremêlait avec les autres lignes des autres encoches et finissait en un point de la lame où était creusée une petite encoche de quelques millimètres. Les motifs étaient agréables à l'œil. Un observateur attentif pouvait distinguer un rapport entre les motifs de la lame et les motifs des tatouages de Kay.

Kay jubilait en la détaillant et en l'observant. Il prit particulièrement le temps d'inspecter les encoches. Il suivit aussi le trajet de chaque ligne comme pour s'assurer qu'elle suivait un chemin précis. D'une main habile de celui qui s'entraînait chaque jour depuis plusieurs années, Kay manipulait, pesait et soupesait l'épée. Bien qu'il eut aimé la faire virevolter et l'essayer avec quelques passes, il se ravisa du fait de la présence du forgeron et de Davy.

– Elle est réussie, dit-il après dix minutes d'un silence admiratif, l'acier est parfait. Vous méritez votre réputation et le prix que je vais débourser.

Le forgeron sourit de toutes ses dents. Et vu le prix qu'il en demandait, il pouvait se le permettre. La commande avait demandé beaucoup de travail, mais il avait demandé le prix fort. Kay chercha dans la poche intérieur de son manteau.

Kay attrapa la main de Davy pendant que celui-ci poussa un cri strident. Par habitude, il avait failli prendre la laisse, mais il était plus simple de guider Davy en tenant sa main. Elle était froide et moite. La peur de Davy se ressentait sur son corps.

– Ne crains rien chéri, il n'est pas mort, il est juste endormi.

Rapidement, Kay dirigea Davy à travers les couloirs qui les avaient menés là. Ils sortirent par l'entrée et montèrent dans la voiture. En allant le contact, Kay sourit et dit:

– Tu aurais pu éviter de crier. Heureusement qu'il n'y a pas l'air d'avoir de monde chez lui.

Kay parti en direction du village humain. Il savait qu'il allait devoir s'expliquer un minimum.
Sinon Davy risquait de devenir trop nerveux et d'exploser en larmes constamment. Il était fragile. Ça faisait parti de son charme.

– Écoutes moi Davy. Je sais que ça paraît un peu étrange, mais je t'assure qu'il va bien. Le charme lui fera oublié juste les quelques derniers jours. Il va donc se réveiller, avec un mal de crâne certes, mais aussi avec l'argent que je lui ai laissé qui l'aidera certainement à se trouver un bon docteur.

Kay regardait Davy par le rétroviseur en conduisant. Celui-ci semblait perdu. Mais Kay savait aussi que Davy écoutait ses paroles. Et il connaissait un moyen pour le calmer.

– Assoupis toi Honey, je vais te mettre ton morceau favori et la chantonner pour toi.

Kay commença à chanter doucement. La maison n'était qu'à 30 minutes et Davy irait probablement se coucher plus tôt c'est tout. En payant un peu de son corps, Davy n'y penserait plus. Du moins il l'espérait.

À peine la voiture stationnée dans le garage de la maison, Kay se retourna espérant avoir endormi Davy. Mais ce n'était pas le cas. Visiblement il s'était calmé, mais il lançait aussi des regards plein de question. Kay se sentit mal, l'espace d'un instant d'avoir traité ainsi Davy, même si c'était son esclave personnel. Il aurait pu lancer un des charmes du livre. Ils avaient l'air de bien fonctionner. Mais, il savait que si le charme était mal lancé, c'était dangereux pour tout le monde. Et tout le monde signifiait aussi Davy ! Il regarda encore un instant Davy qui lui rendit son regard. Puis souriant et prenant un ton doux il lui dit

– Allez viens Davy. Je veux bien répondre à quelques unes de tes questions. Sauf, que ce sera demain. Pour ce soir, je suis fatigué. Mais demain, ce sera d'accord. En attendant, nous allons au lit.

Kay sortit et ouvrit la portière arrière laissant Davy descendre par lui-même. Il lui proposa un chocolat chaud avant d'aller dormir. Puis s'en alla se coucher. Il savait que demain il faudra discuter des évènements d'aujourd'hui... et d'autre chose. Mais finalement, peut-être était-il temps de le faire. Davy n'était certainement plus un enfant. Et Kay savait quand même qu'il était capable d'entendre certaines choses. Peut-être pas toute par contre. Sur cette réflexion, il s'endormit.

Kay s'attendait à voir Davy le bombarder de question dès qu'il serait là. Mais ce ne fut pas le cas. Le déjeuner qu'il lui servit était copieux et léger à avaler cependant. Si Davy avait voulu amadouer Kay, il s'y serait pris ainsi. Mais cela semblait peu probable. Ce n'était pas le genre du jeune garçon. Ou du jeune homme plutôt. Kay avait toujours un peu de difficulté à faire la transition sémantique de garçon à homme en parlant de Davy. C'était pourtant le cas.

La douche de Davy se termina lorsque Kay finit son dernier bagel. Comme un ballet bien synchronisé, Davy revint quelques minutes après, en même temps que Kay finissait de débarrasser légèrement le comptoir de la cuisine. C'était le moment tant attendu. Toutes les pièces étaient en place. Kay s'assied et montra une chaise à Davy.

– Alors Davy que veux-tu savoir ?

Kay se replaça sur sa chaise plusieurs fois, donnant l'impression de réfléchir à ce qu'il allait dire. Il savait que ces mots devaient être sincères pour sonner juste à l'oreille de Davy mais aussi modérés pour ne pas l'inquiéter ou lui révéler sa vraie nature. Au bout de deux minutes de silence, après avoir placé ses idées en ordre, il se décida.

– Je ne peux pas vraiment te dire qui a écrit ce livre. Car je ne le sais pas exactement. Ce que je sais c'est qu'il est le substrat essentiel contenu dans ce monde. L'écriture utilisé vient d'une langue étrange que personne ne parle ni n'utilise. Il est le cœur de celui qui a créé le monde. Ou plutôt de celle qui a créée le monde. Appelons-là la Démiurge.

Kay regarda Davy. Il n'était pas sûr qu'il comprenait. Mais cette fois-ci il ne mentait pas. Il entreprit de continuer en voyant que Davy l'écoutait toujours.

– Ainsi donc, ce livre fait ce que le cœur de la Démiurge peut que son esprit ne sait pas. Sauf qu'il a été transcrit par un démon... d'où la corruption qui règne dans ce texte. C'est pourquoi tu m'as entendu faire des sons étranges. Ce livre contient une histoire, une explication irrationnelle du monde et des charmes. Et c'est un charme que j'ai lancé sur le forgeron. Il dort et dormira encore aujourd'hui et demain. Puis il se réveillera en ayant oublié tout sur cette épée.

Kay repris une pose. Le regard de Davy était toujours plein de question. Mais il semblait un peu plus perdu qu'avant.

– Est-ce que je continue ?

Il était clair que Davy était impatient de comprendre; impatient comme un petit garçon qui veut tout savoir. C'était maintenant un homme de corps, mais il restait un attendrissant petit garçon parfois. Lorsque Davy acquiesça, Kay reprit son explication.

– Le livre n'est qu'un moyen. Un moyen d'obtenir des résultats. Il nous protège aussi et nous apporte la richesse. As-tu remarqué que l'argent coulait à flots ? Nous avons une maison immense, tout le mobilier que nous pouvons désirer fait uniquement de matières nobles, une dizaine de voitures etc. Tu ne t'es jamais demandé d'où venait l'argent ?

Avant que Davy puisse répondre il continua.

– C'est le livre. Le démon Nork était lui aussi très riche et puissant. Et c'était grâce à ce livre entre autre. Sa bibliothèque recèle de livres tous plus intéressant que les autres. Mais celui-ci est certainement le plus précieux.

Kay pris une légère pose. Il se leva pour aller chercher un verre d'eau. En se rasseyant, il regarda Davy dans les yeux. Au moment où Davy allait ouvrir la bouche, probablement pour lui demander ce à quoi servait l'épée, il l'interrompit.

– L'épée est décrite dans ce livre. Enfin, pas forcément l'épée, mais le principe sous-jacent. C'est uniquement moi qui ai décidé que ce serait une épée. Ça aurait pu être n'importe quelle arme. En fait, ça aurait pu être n'importe quoi pour tout dire. Cette épée est spéciale car elle me permettra d'avoir ma vengeance sur celle qui m'a fait souffrir et celle qui m'a arraché à mon monde. Cette épée ruinera le monde et les espérances de la Démiurge. Cette épée est l'Épée des Joyaux, Davy.

Et tandis, qu'il disait cela, ses yeux brillèrent de milles feux et s'enflammèrent littéralement en prenant cette couleur rouge qui caractérisaient les moments où le sang du démon Nork qui coulait dans ses veines exacerbait le sentiment de vengeance de Kay.

– Et puis qu'est-ce que tu veux dire par ''arraché à mon monde''? Quel monde? Kay...

Les paroles de résonnaient dans le cerveau de Kay. Il allait lui dire quelque chose que Davy n'avait jamais suspecté. Il allait lui expliquer que ce monde n'était qu'un monde. Mais comment devait-il le dire ? Il y a moins d'un an. Kay ne se serait pas soucié de l'impact d'une telle nouvelle sur Davy. Ou du moins, Kay aimait le croire. Mais étrangement, depuis un an environ, Kay avait conscience d'un attachement particulier envers Davy : un attachement qu'il n'avait jamais connu. Il ne savait pas l'expliquer. C'est là où avait commencé les mensonges d'ailleurs. Il prenait des précautions en parlant à Davy. Il se rendait compte que celui-ci comprenait de plus en plus et il voulait le protéger. Cependant, le moment était venu de lui annoncer.

– Je ne viens pas de ce monde Davy, dit-il sur un ton neutre, Vois-tu, il existe de nombreux mondes qui sont comme empilés les uns sur les autres. Ces mondes sont en général isolés. Comme des pièces sans porte ni fenêtre. Mais il arrive qu'une fissure se fasse et que quelqu'un tombe dans un autre monde. Je suis tombé dans une de ces fissures.

Kay hésita à continuer. Les yeux de Kay avait repris leur couleur noire normale. Il observa Davy pour voir sa réaction.

Kay pris une profonde respiration. Ses yeux reprirent une teinte rougeâtre sans pour autant virer au rouge profond. Il était incandescent comme des braises qui achèvent de bruler dans une cheminée.

– Je veux me venger de la Démiurge qui m'a fait tomber dans cette faille et qui m'a séparée de ma famille et m'a entrainée dans le malheur. Dit-il d'un ton solennel. Et je ne peux y arriver qu'en détruisant sa création. Pour cela tout le monde doit finir par savoir la vérité. Cela provoquera la chute de ce plan et me permettra... il hésita, NOUS permettra de retourner dans mon monde.

Il savait que tout ça risquait d'être trop pour Davy en une seule fois. Il décida alors qu'il était temps d'arrêter les explications.

– Maintenant Davy, nous allons nous arrêter là pour cette fois. J'ai répondu à beaucoup de tes questions et il me semble qu'il serait mieux que tu ais le temps d'assimiler ce que je viens de dire.

Il détourna un instant le regard, plongeant dans ses pensées. Puis il déposa à nouveau son regard noir sur Davy. Du plus profond de son être, dans une sincérité étonnante de sa part, il lui dit

– Je t'assure que je ne veux pas que tu souffres et encore moins que nous soyons séparé, Davy

Son ton était doux et aimable, et il murmura dans un élan du cœur presque inaudible

– mon amour...