Moment de liberté volé...(PV)

Stella Montgomery, dans son uniforme d'écolière, était assise sur un banc de parc à quelques mètres de la cour de son école privée pour filles. Anglophone, évidemment. Son père ne la laisserait jamais apprendre dans une langue ''inférieure''.

Elle regardait distraitement de l'autre côté de la rue, où se trouvait une école publique francophone tout ce qu'il y avait de plus ordinaire. Elle s'était souvent demandé ce que ça faisait d'être dans une école normale. C'était sûrement beaucoup moins chiant...

Maintenant qu'elle avait quatorze ans et qu,elle était en secondaire trois, elle avait le droit de sortir de la cours d'école aux récréations. Les plus jeunes, elles, n'étaient pas autorisées à le faire. Stella profitait pleinement de ce nouveau privilège pour fuir l'ambiance un peu trop snob de son établissement. Plutôt être seule et avoir la paix qu'être avec cette bande de pimbêches!

Elle balançait des pieds en chantonnant doucement une mélodie inaudible, venue d'un dessin animé quelconque. Ses pieds ne touchaient pas le sol à cause de sa petite taille, ce qui lui permettait de les bouger comme elle le voulait. Elle jouait avec l'une des mèches de ses cheveux, profitant de la température assez douce pour un moi de mai. Un joli printemps...

Benoît sortait de sa classe d'anglais... il détestait assister à ce cours. D'abord parce que c'était de l'anglais. Et son père ne manquait jamais une occasion de lui expliquer que c'est la langue des colonisateurs de son pays ! Immanquablement, Benoît avait donc une forme d'aversion "génétique" pour cette langue. Mais c'était aussi à cause du professeur, le terrible M. Levert, qui le terrorisait en classe. Ce professeur n'était pas plus méchant en fait que les autres. Mais Benoît se sentait toujours inférieur à tous les autres élèves et n'osait pas parler en anglais. Vu que M. Levert insistait pour que tous s'exprime, la classe d'anglais était devenu un cauchemar pour Benoît.

Une fois dehors, il respira un bon coup. Et regarda de l'autre côté de la rue, l'école privée anglophone. Un sentiment de frisson parcouru sont échines lorsqu'il imagina que les filles ne devaient s'y exprimer qu'en anglais. Même les cours qu'il préférait comme les maths ou la science physique devait alors être affreusement détestables !

Au fur et à mesure que sa pensée terrifiante s'estompait, il aperçu une jeune fille assise sur un banc. C'était rare que les filles de cette école se baladent seules surtout entre les cours. Elle était vêtue de l'uniforme caractéristique de St. Margaret's School. Elle semblait petite et elle semblait s'ennuyer. Mais surtout elle semblait incroyablement belle. Après une bonne minute la bouche ouverte, Pierre-Marc, un de ses camarades lui envoya une tape dans le dos.

— Tu essayes de gober les mouches ? Lui demanda-t-il
— Mais non, idiot, je ... j'essayais de bailler.
— Mouais c'est ça, répondit son ami avec un clin d'œil

Benoît rougit comme à son habitude lorsqu'on découvrait ses pensées envers les filles. Il aurait aimé aller lui parler... mais il ne pouvait pas juste arriver en face d'elle puis parler avec elle. Il ne le pouvait pas parce qu'il en était incapable. Et surtout, parce qu'elle était bien trop belle. Il ne pouvait pas lui parler, mais il pouvait toujours passer à côté d'elle comme s'il s'en allait vers l'aréna. Comment pourrait-elle savoir qu'il avait fini ses cours ? D'un pas légèrement fébrile il se dirigea vers elle. Chaque pas la rapprochait un petit peu, il pouvait mieux la voir. Et chaque pas, lui donnait raison. C'était certainement la plus jolie fille qu'il n'avait jamais vu de sa vie.

En s'approchant de la jeune fille, Benoît se demandait s'il aurait le courage de lui parler. Il se mettait en scène dans toute une panoplie de scénario différent : « Salut toi, je ne te connais. »; « Bonjour... je t'ai vu là-bas et je me disais que tu étais belle. »; « Allo, moi c'est Benoît. Toi c'est comment ? »; « Hi, does you speak français ? » oO S'il pouvait éviter l'anglais ça serait mieux... il était mauvais. Mauvais à un point incroyable.

– Pourvu qu'elle parle français, pensa-t-il. De toute façon ça change rien, je serais incapable de dire quoi que ce soit ><

Au moment où cette pensée arrivait, une feuille de papier se colla à son visage. Il s'arrêta comme conscient de la situation embarrassante dans laquelle il se trouvait...

– C'est un fort mauvais départ dans une relation que de donner une mauvaise impression, pensa Benoît. Ça commence mal, lança-t-il à voie haute.

Il retira la feuille lentement, puis la regarda. C'était une feuille gribouillée avec plusieurs annotations : des mots dispersés et des dessins. Un sourire apparut instantanément à son visage. Certains mots étaient en français. Il y avait tout un petit texte en français. Elle devait donc parler français ! Il se mit à approcher d'un bon pas.

– Salut ! Tu as perdu ça je crois, dit-il tout souriant.

Benoît s'approchait de la jeune fille et pouvait la regarder directement. Son cœur battait fort.

Benoît regardait la jeune fille. Il souriait. Pour être exact, il espérait sourire, ce qui ne lui semblait pas évident. Mais il n'osait pas en faire plus de peur d'avoir un visage ridicule. Il avait la main tendue vers elle et il tenait une feuille... il tenait LA feuille qui lui permettait de parler avec elle. Sauf qu'il ne savait pas quoi dire.

Au bon d'une longue minute à lui sourire la main tendue vers elle, Benoît se dit qu'il était temps de dire quelque chose d'autre. Il hésitait entre « t'es jolie », « Tu vas à l'école privé ? » et « tu t'appelles comment ? Moi c'est Benoît ! »

Le premier choix était indicible. Il n'oserait jamais. Le deuxième était stupide. C'était évident qu'elle allait à l'école. Le troisième semblait le bon. Il s'approcha d'un pas et dit d'un air joyeux :
— Tu vas à l'école privé ou t'es habillée pour un carnaval ?

Ses yeux écarquillèrent. Non seulement il avait dit la phrase stupide qu'il ne voulait pas dire, mais il avait réussi à faire une blague idiote. Il maudissait sa timidité, et son sourire disparu.

– Je, euh, je bien ... euh...

Benoît ne trouva pas les mots qu'il aurait aimés. Les yeux de la jeune fille venait de le captiver. Il les regardait et un léger sourire apparu sur son visage. Un maelström d'émotions venait de l'envahir. Les yeux de la jeune fille lançaient des éclairs qui le déstabilisaient et scintillaient comme des étoiles au firmament. Il se sentait cloué sur place.

– Désolé >< je vois bien que tu es à l'école privée...

Benoît se réessaya à sourire. Il n'était pas convaincu du résultat... trop de dents ? pas assez de dents ? peut-être devrait-il fermer la bouche ? pencher la tête ? Il cligna des yeux...

– Arrêtes de faire l'imbécile pensa-t-il

Il se reprit et retenta le tout pour le tout dans un sourire qui se voulait sans fioriture.

– tu t'appelles comment ? Moi c'est Benoît !

— Obvihousse quoi ?

Les yeux et le sourire de Benoît se figèrent un instant... Il détestait l'anglais car il ne le comprenait pas. En général, il faisait comme s'il comprenait et laisser les autres continuer à discuter. Mais, il ne voulait pas paraître trop idiot non plus. Surtout pas devant une fille... surtout pas devant cette fille.

— Je suis désolé. Je suis nul en anglais. >< Oui je suis en secondaire 3 cette année.

Il remarqua qu'il avait encore la feuille qu'il avait ramassé dans sa main. Il l'a tendit à Stella.

— Je vais t'aider avec le reste de tes affaires. C'est rare qu'on voit l'une d'entre vous sortir à cette heure-ci. Tu t'es tu faites punir pour quelque chose ?

Benoît se dépêchait à ramasser ce qui trainait partout le plus vite possible. Il ramassa un beau cahier épais qui ne ressemblait pas aux autres. Il n'avait jamais vu un aussi beau cahier. Enfin si, mais sur les étagères des librairies. Il n'avait pas les moyens de s'en acheter des comme ça. En fait, il n'avait même jamais osé en toucher un. Comme s'il avait peur de le salir avec ses mains, il le tendit promptement à Stella. On aurait dit qu'il tendait une œuvre d'art en verre fin et qu'il avait peur de la casser.

— Tiens ! Ça a l'air super important ça.

Stella tiqua à l' ''obviousse quoi?''. Bon...Elle venait d'avoir l'air hautaine, là, avec son anglais. Elle DÉTESTAIT avoir l'air d'une...Gosse de riches allant dans une école privée. Évidemment, idiote, tout le monde n'est pas bilingue ou doué en anglais! Seulement c'était un réflexe de placer des mots anglais comme ça...On parlait toujours anglais à la maison.

Elle n'eut pas le temps de répondre cependant que le garçon enchaînait avec une question et, toujours sans attendre de réponse, se mit à ramasser ses trucs qui traînaient encore sur le sol, les trucs qu'elle avait laissés en dernier parce qu'elle les savait moins important ou tout simplement moins susceptibles de s'envoler.

Elle détourna le regard, gênée. Pourquoi il était si empressé, ce type? Elle ne le connaissait même pas...Pourquoi il ramassait ses trucs comme ça? C'était bizarre...

Elle sursauta cependant quand il lui tendit son cahier. Comment avait-elle pu oublier le précieux livre qui contenait son monde! Elle croyait l'avoir laissé à la maison...Elle le ramassa promptement.

-Mon livre! Oui, c'est important.

Sans attendre, elle le rangea dans son sac.

- Merci. Et non, je suis pas punie dah, les plus vieilles ont le droit de sortir de l'enceinte de l'école et comme les autres filles m'énèrvent...

Stella fut prompt à enlever le livre des mains de Benoît. En fait, Benoît resta sans mot pendant un instant. Puis il repris ses esprits tout en se demandant ce que contenait ce livre.

– Vous n'avez pas le droit de sortir ? Sont bin plates dans votre école !

Benoît semblait réellement indigné. Il y avait des règles dans son école mais il n'imaginait pas qu'on le retienne dans l'enceinte.

– Pourquoi elles t'énervent ? Parce qu'elles sont riches ?

Si sur le moment Benoît arbora un grand sourire niaiseux... il prit soudainement peur d'avoir offensé la jeune fille.

– Enfin je ne veux pas dire que toutes les filles riches sont énervantes... non ni celles de cette école. Enfin je veux dire que ... >< je suis désolé !

Comme pour le sauver, la cloche de son école retentit. Son cours de math allait commencer dans moins de cinq minutes.

Benoît sourit à la dernière remarque de Stella avant de se demander si c'était une blague ou une critique. Il aurait voulu lui demander, mais il se dit qu'il valait mieux se taire pour ne pas avoir l'air plus bête. Il lui fit un bye-bye de la main avec un court sourire. Puis s'en alla. Au bout d'une dizaine de pas, il tourna la tête furtivement pour la regarder. Elle allait vers son école. Il rougit en la regardant. La rencontre avait semblé irréelle. Pourtant, son cœur qui battait vite dans sa poitrine et son souffle court lui rappela que tout ceci était bien vrai. Il se retourna et reprit son chemin en se demandant s'il aurait la chance de la revoir. Avant d'arriver à la barrière de son école, il se retourna une dernière fois. Stella passait la grand porte solennelle qui marquait l'entrée de la vieille école prestigieuse de la région... Benoît eut un pincement au cœur.

— J'aurais dû lui demander quand elle finissait ses cours, se dit-il à voix basse.

Mais il était trop tard, et Benoît était en retard. Il courut pour parcourir les derniers mètres qui le séparait de la porte d'entrée. Pendant tout son cour, il n'eut qu'elle en tête et ne pu se concentrer.