La révélation de la deuxième rencontre

(suite de la storyline contée dans Moment de liberté volé...)

Cela faisait exactement sept jours que Benoît avait rencontré Stella. Il n'arrivait plus à penser à autre chose. À la sortie des cours, le jour même, il s'était précipité dehors, espérant la voir. Mais elle n'était pas là. Et chaque jour depuis, à chaque pause qu'il pouvait avoir, il regardait par la fenêtre espérant la voir sortir et s'installer. Mais rien n'y fit. Ayant largement la tête ailleurs, ses travaux de la semaine furent plutôt mauvais. Même dans son cours fétiche, il n'arrivait pas à rester concentrer sur le sujet. Même son travail au bar, un travail qu'il effectuait le soir au noir pour gagner un peu d'argent afin de pouvoir s'acheter quelques cossins, en avait pâtit. Il arrivait un peu en retard, ne rangeait pas les caisses au bon endroit et lavait de la vaisselle propre.

Cela faisait donc sept jours, une semaine complète, que Benoît n'avait pas réussi à la revoir. Il se sentait désespéré. Son cœur s'emballait plus à chaque fois et la douleur de la déception n'en était que plus grande. Il se rendait compte que quelque chose d'inhabituelle se déroulait. Ce n'était pas la première fois qu'il avait une attirance pour une fille, mais c'est la première fois que son corps réagissait ainsi. Elle était spéciale.

La dernière sonnerie de la journée retentit. Benoît sortit de son cours. Arrivé à la porte de son école il vit le déluge d'eau qui s'abattait dehors. Et il n'avait pas pris de parapluie, malgré les nombreux avertissements de sa maman. Maudissant sa tête en l'air, il se résolu à avancer par bonds, de zone safe en zone safe. Il prit donc son souffle et couru vers l'arrêt de bus qui constituait le premier point protégé. Il jeta un coup d'œil furtif vers l'école d'en-face et le banc où s'était assis Stella, mais vu la pluie, elle ne s'y trouvait évidemment pas. Il arriva dans l’abri-bus et s'arrêta net à l'entrée, toujours sous la pluie.

— Stella, s'écria-il d'une voie enjouée !

— Tu es là.

Un sourire sincère apparu sur le visage de Benoît à l'instant où il prononça cette constatation. Il restait en dehors de l’abri, semblant ne pas se rendre compte que l'eau s'abattait sur lui et trempait ses vêtements. C'était comme s'il n'osait pas rentrer dans l'abri ; comme s'il était devenu une terre sacralisée par le fait que Stella utilisait un de ses bancs.

— Tu prends le bus pour rentrer chez toi ?

En disant cela, Benoît fouillait ses poches pour regarder s'il n'aurait pas un peu de change pour prendre aussi le bus. Malheureusement, il avait tout dépensé pour un carton de lait à midi. Il resta là, l'air pantois et songeur.

Benoît prit soudainement conscience d'être trempé... Il se félicita intérieurement encore une fois d'être aussi idiot et maladroit face à une fille. Mais pourquoi était-il comme ça ? Il fit un pas en avant pour rentrer dans l'abri.

— Oui c'est mieux comme ça. C'est juste que ça m'a surpris de te voir là attendre ton... chauffeur.

Il écouta ce mot résonner dans sa tête : un chauffeur. Qui peut se permettre de se payer un chauffeur ? Elle devait être riche. Pour éviter de se poser trop de question, il mit ce passage dans un coin de sa tête et évita de trop y penser. Y penser, c'était réentendre son père sur le gaspillage de la classe bourgeoise et l'exploitation des travailleurs. Et il ne voulait pas penser à son père maintenant.

— Moi je dois rejoindre le bar dans lequel je travaille. Tu vas dans quelle direction ? >< Ah oui c'est vrai que tu ne prends pas le bus...

Benoît était un peu dépité par ça. Il venait de retrouver Stella, mais l'espace d'un instant il s'était dit qu'il pourrait l'accompagner et passer de longues minutes avec elle. Il se sentit l'obligation de dire une banalité pour changer de sujet.

— Vos uniformes sont pas mal jolis, mais sur toi, c'est même carrément beau.

Benoît fit des yeux ronds. Ce n'était pas une banalité... c'était un compliment. Il avait complimenté Stella. Son cœur se mit à battre la chamade. Elle allait être vexé ou pire se moquer de lui et le jeter dehors ! Il l'observa avec une certaine angoisse.

N'eut été l'eau de pluie qui dégoulinait encore du visage de Benoît, Stella aurait pu remarquer un légère goutte de sueur, mélange d'inquiétude et d'appréhension, qui coulait le long de la tempe de Benoît. Mais elle ne vit rien, car elle ne le pouvait. Et elle changea de sujet rapidement. L'inquiétude de Benoît s'esquiva.

— Et pourtant c'est vrai... elle est vraiment belle ainsi. Papa a tort quand il dit que les uniformes ne vont qu'aux robots, aux policiers et aux dictateurs., pensa-t-il.

Un sourire réapparu à ses lèvres lorsqu'il entendit la question de Stella. Il la regarda et lui répondit en toute simplicité/

— Bin j'ai quatorze ans. Mais je ne travaille pas vraiment officiellement tu vois. C'est mon oncle qui gère le bar et il m'offre des petits travaux en me payant pour ça. Alors je fais la vaisselle, je sors les poubelles, je range des bouteilles, je fais le ménage, ... je ne vais jamais en salle de toute façon. Ça me permet de mettre un peu d'argent de côté et...

Une énorme limousine s'arrêta devant l'arrêt de bus. Benoît se tut. Elle allait partir. Sa gorge se serra. Il ne voulait pas la voir partir... pas déjà. Il venait à peine de la revoir.

Stella lui proposait de l'accompagner. Le cœur de Benoît battit si fort dans sa poitrine que son sourire manqua de se transformer en rictus de douleur.

— Oh oui ! Avec plaisir *_*

La pensée d'une réaction surdimensionnée vint traverser l'esprit de Benoît. Peut-être aurait-il dû dire ça avec moins d'entrain... Mais Stella n'avait pas l'air d'avoir été dérangé par son ton un peu trop aiguë. L'image de son père aigri de voir une telle voiture raccompagné son fils surgit dans sa tête... Son père était du genre communiste convaincu et il aurait sans aucun doute accusé son fils d'être le jouet, si ce n'est le laquais, d'un bourgeois tyrannique. Mais pourquoi ne pouvait-il pas être plus modéré comme sa mère >< ?

— Je suis dans le quartier des ouvriers... mais il faudrait me déposer un peu avant ma maison. Tu es sûr que je peux rentrer dans ta voiture ? Tu ne vas pas avoir de problème ?

Benoît hésita à monter dans la limousine... mais une fois assise au fond sur sa banquette, Stella fit un petit mouvement de la tête pour l'inviter. Il ne résista pas longtemps. Il osait à peine s'appuyer sur les sièges et il s'asseyait sur ses mains pour ne pas mouiller les sièges. Il finit cependant par accepter de poser ses fesses directement sur le tissu luxueux de la limousine.

— Mais pourquoi tu veux qu'on te dépose un peu avant ta maison ? demanda Stella
— Et bien... je ne sais pas comment te le dire mais..., Benoît rougit de honte, mon père ne peut pas vous encadrer. Je veux dire vous les riches. Et puis, tu as au moins un parent anglophone sinon tu n'irais pas à l'école privée. Et ça il déteste encore plus.

Il regarda la mine dépitée de Stella. Il l'avait dit d'une traite pour ne pas se sentir gêné en cours de route. Mais là, il avait peur de l'avoir blessée.

— Cependant, t'inquiètes pas hein ? Ça pourrait être pire. En fait, c'est surtout son patron qu'il déteste. Il représente tout ce qu'il hait... je crois qu'il projette sa haine sur les autres mais, au fond, c'est pas la fin du monde.

Benoît ne savait plus où se mettre. Comme tout bon fils, il suivait l'exemple de son père et, parfois, se moquait des riches et critiquait les anglophones. Il faisait cependant plus ça par mimétisme que par conviction. Il lui arrivait aussi de blaguer avec ses amis, notamment en ce qui concernait les filles de l'école d'en face. Et là, il se sentit coupable comme si des années de moqueries lui sautaient au visage.

— Je suis désolé... mon père est sympa, mais il s'emporte un peu vite sur certain sujet. Il nous raconte tous les soirs pourquoi son patron est un trou du cul. Il possède la moitié des usines du coin et il paraît qu'il ne respecte pas du tout ses employés.

Espérant avoir fourni assez d'excuses, il regarda par la fenêtre la tempête qui s'abattait sur la ville. Il se retourna d'un coup vers Stella. Avec un grand sourire, il lui demanda:

— Hey ! Tu connais peut-être sa fille d'ailleurs... elle doit aller à la même école que toi. Elle s'appelle Montgomery comme son papa je suppose !

Un silence envahit la limousine... Benoît se sentait un peu mal. Avait-il dit encore quelque chose qu'il ne devait pas dire ? Ou bien Stella réfléchissait-elle pour retrouver qui était la fille Montgomery ? Elle semblait la connaître vu sa réponse. Mais, d'un autre côté, elle avait l'air fatiguée. Ce silence ne dura que quelques secondes, mais sembla presque éternel à Benoît. Il se pencha légèrement en avant comme pour entendre une éventuelle réponse murmurée qui serait restée là en suspension entre Stella et lui... mais rien ne surgit. Il se dit que finalement il était mieux de reposer la question.

— Alors tu la connais tu ? Elle est-tu aussi fatiguante que son père ?

Et il sourit innocemment.

Le regard de Benoît naviguait entre le doux visage de Stella, ses longs cheveux soyeux et le paysage. Non qu'il admirait particulièrement le paysage, mais il voyait qu'ils s'approchaient. Et il commençait sérieusement à s'inquiéter d'une potentielle bêtise qu'il aurait dit. Au moment où il considéra parler, la voiture s'arrêta, ce qui lui coupa l'envie de lancer une blague.

— Nous sommes arrivés chez votre ami, mademoiselle Montgomery.

La petite phrase du chauffeur résonna au moins 15 secondes dans la tête de Benoît. Son visage vira au blanc. Il venait de comprendre sa bêtise. Qu'aurait-il pu dire de plus idiot ? Il aurait pu directement l'insulter tant qu'à faire. Encore une fois il se sentait idiot ! Maintenant c'est clair qu'elle ne voudra plus jamais lui parler. Il pris son sac à dos miteux qu'il regarda pendant quelques secondes. C'était un vieux sac. Un sac de pauvre. Qu'avait-il espéré de toute façon ? Les filles de cette école ne sont pas du même groupe sociale... de la même classe sociale comme disait son père. Mais pour une fois, il aurait voulu envoyer chier son père et tout ses principes idiots ! Stella n'était pas pareille que ce que lui décrivait son père tout le temps. Elle ne s'était pas moqué de lui, ne l'avait pas snobé, ne l'avait pas pris en pitié, n'avait pas étalé son pouvoir ou son anglais. Elle avait été adorable... elle était adorable... non ! Elle était belle comme les étoiles le sont.

— Désolé Stella. Je ne savais pas. Dit-il d'une mine dépitée. C'était ... pour rire.

Il ouvrit la porte et mit le pied dehors. Comme pour accompagner cette scène tragique, le tonnerre gronda et l'averse s'abattit de plus belle sur lui. Il allait être trempé et glacé jusqu'aux os, mais ce n'était pas le pire : il pensait ne plus jamais revoir Stella.

(Cette storyline continue dans Le parapluie)